Maud Sarda, directrice de Label Emmaüs, l’e-shop de la seconde main

Publié le 16 septembre 2024 par Katia Crabé

Temps de lecture :  18 min

Présentation de Maud Sarda, directrice de Label Emmaüs
Interview de Maud Sarda
Le Nouveau Monde selon Maud Sarda
Le portrait chinois de Maud Sarda

Photo de Maud Sarda, directrice de Label Emmaüs

Katia : Aujourd’hui, je suis ravie de donner la parole à Maud Sarda. Bonjour Maud, comment allez-vous ?

Maud Sarda : Bonjour Katia, je vais très bien, merci beaucoup.

Katia : Merci d’être là avec nous aujourd’hui. Vous êtes la cofondatrice et la directrice de Label Emmaüs, la première marketplace de solidarité et du réemploi. C’est par le biais de LinkedIn que je vous ai découverte et que j’ai découvert par la même occasion la plateforme Emmaüs dont j’ignorais jusqu’à présent l’existence. Je vais moi-même de temps en temps chiner au Emmaüs, près de chez moi. Et je fais partie d’une structure aussi s’inscrivant dans l’ESS, donc merci les réseaux sociaux. Est-ce que peut-être pour commencer, vous voulez bien vous présenter à nous et nous raconter votre parcours ?

Maud : Oui, c’est sûr que le défi de la visibilité sur Internet, il est conséquent. Même quand on s’appelle Emmaüs, même quand on est aficionado à la seconde main et qu’on fait partie de l’ESS, on ne nous connaît pas forcément. Ça montre bien effectivement que c’est compliqué d’exister en ligne. Ensuite, sur mon parcours, j’ai créé le label Emmaüs il y a huit ans et je suis depuis 15 ans dans le mouvement Emmaüs. J’ai été à Emmaüs France, qui est la tête de réseau du mouvement Emmaüs juste avant. On pourra peut-être expliquer comment est structuré le mouvement Emmaüs à un moment donné parce que ce n’est pas toujours simple de s’y retrouver. Mais avant Emmaüs, j’ai évolué dans un milieu très différent qui est Accenture. J’ai été consultante dans ce gros cabinet de conseil en organisation américain pendant cinq ans. C’était juste après mes études. C’était une école de commerce. Et sinon, j’ai grandi en Guadeloupe avant de venir en métropole pour les études après le bac.

Katia : Comment est-ce que vous vous êtes connectée au mouvement Emmaüs la toute première fois ?

Maud : Moi, je ne connaissais pas du tout Emmaüs parce qu’en Guadeloupe, il n’y a pas d’Emmaüs. Donc, ça n’a pas fait le choix. Ça fait partie de mon enfance, de ma culture familiale. On n’allait pas chez Emmaüs comme beaucoup de gens ont pu le faire. J’ai rencontré Emmaüs assez tardivement. J’étais déjà chez Accenture depuis quatre ans environ. Accenture fait partie de mon parcours pour des raisons assez rationnelles initialement, puisque j’avais fait un prêt étudiant pour payer mon école de commerce. Et donc, il fallait que je le rembourse. Donc, je suis allée travailler pendant le temps du remboursement, cinq ans pile poil, dans un cabinet type Accenture. Après, je ne regrette pas, c’était très formateur. Et puis, je n’ai pas choisi Accenture pour rien. Et ça m’a fait le lien avec Emmaüs parce que je savais déjà en rentrant dans ce cabinet qu’il y avait une fondation très importante. Et j’ai fait un prêt étudiant pour payer mon école de commerce. Cette fondation met à disposition ses consultants en intermission, en fait, pas de clients. Elle les met à disposition au secteur associatif de l’impact. Et donc, on peut faire des missions assez longues en étant payé par Accenture dans ce milieu. Et donc, moi, j’ai eu la chance pendant une année de partir en mission. Et j’avais bien en tête que ça me serve de passerelle, en fait, vers le moment où je vais de l’engagement et c’est ce qui s’est passé. Pendant cette année de mission, de compétences, j’étais à l’agence nouvelle de solidarité active qui a été créée par Martin Hirsch. C’est un laboratoire qui permet d’expérimenter les politiques publiques avant qu’elles se mettent en place. Le RSA, typiquement, a été expérimenté par cette agence. Et donc, j’ai rencontré Emmaüs à ce moment-là. Mon premier contact avec Emmaüs a été Gilles qui allait devenir mon responsable chez Emmaüs France. Il intervenait dans un atelier de réflexion sur l’insertion pour les personnes qui sortent de prison. Et c’est vrai qu’Emmaüs est très actif sur l’accueil de TIG, de travail d’intérêt général et au type de personnes qui passaient par la case prison.

Katia : Petite parenthèse. J’avais interviewé Gabi Mouesca qui gère la ferme Emmaüs Baudonne à Tarnos. Ce qui est amusant, c’est que Gabi, en fait, ça a été mon collègue à Emmaüs France. Quand je suis venue, il y avait Gilles et il y avait Gabi. Et c’était la personne à côté de laquelle j’étais assise en arrivant à Emmaüs France. Et voilà, Gabriel a quand même été un de mes premiers contacts avec le mouvement Emmaüs. Donc, un contact quand même très fort, évidemment. Et donc, j’ai tout suivi. J’ai suivi Emmaüs sous son angle le plus militant parce que c’est vrai que c’est un mouvement qui est vraiment très actif pour les personnes les plus exclues de notre société. On accueille des personnes, je pense, que personne n’accueille. Et pas que des personnes qui sortent de prison, mais aussi beaucoup de personnes qui ont des parcours de rue depuis de longues années et beaucoup, beaucoup de personnes issues d’immigration. Et aujourd’hui, le profil largement majoritaire qui se trouve dans les communautés Emmaüs. Donc, moi, c’est ce qui m’a plu, c’est ce qui m’a fascinée, le militantisme.

Katia : Je n’ai pas précisé au départ. Pour ceux qui ne connaîtraient pas très bien ce que c’est que l’ESS, l’économie sociale et solidaire, qu’est-ce qu’on pourrait en dire en quelques mots ?

Maud : La loi de l’ESS, portée par Benoît Hamon a dix ans. Alors, au sens strict de la loi, l’ESS regroupe toutes les associations qui font partie de l’économie sociale et solidaire, des coopératives et des entreprises qui ont le statut ESUS d’utilité sociale. Parce qu’on va sur ces typologies de structures, vérifier une lucrativité nulle ou limitée. La lucrativité est contrôlée, limitée et elle est au service d’un projet, social et ou environnemental. Donc, Emmaüs, évidemment, fait partie de l’économie sociale et solidaire. Même 10% du PIB français, l’ESS.

Katia : Comment êtes-vous venue à vouloir vous investir dans des mouvements comme ça aussi engagés ? Qu’est-ce qui fait que c’est aussi important pour vous ?

Maud : C’est un peu difficile à expliquer parce que je n’ai pas eu une révélation un jour. J’ai l’impression de porter ça en moi depuis longtemps. Donc, ça a pris d’autres formes avant. Quand j’étais à l’EDEC, l’école de commerce, j’étais présidente de l’association humanitaire de l’école. Ça a pris la forme du bénévolat, de mission humanitaire. J’ai toujours senti que j’avais envie de travailler pour un secteur engagé. Après, en revanche, j’ai beaucoup cheminé. Je ne savais pas du tout au début, que ça prendrait la forme de l’insertion, de l’économie solidaire en France. J’avais peut-être plus des rêves d’humanitaire comme tout jeune au début. J’étais dévouée à l’étranger. Petit à petit, j’ai cheminé et j’ai mieux défini mon projet. Après, je pense que c’est familial. Mes grands-parents étaient instituteurs. Ils étaient vraiment des fervents défenseurs de la justice sociale, de l’ascenseur social, des valeurs de l’égalité. Mes parents sont tous là-dedans. Mon père lui-même s’occupe d’une structure Emmaüs dans le sud de la France. On est des gens convaincus qu’il faut se battre pour plus de justice sociale.

Katia : Avant peut-être de revenir sur la plateforme que vous avez créée, vous proposiez d’expliquer comment fonctionne Emmaüs pour comprendre parce que c’est avant tout un mouvement. Qu’est-ce que vous pourriez nous dire sur son organisation, son fonctionnement ou sa structure ?

Maud : Emmaüs, déjà, c’est très gros. C’est 35 000 personnes partout en France. C’est un mouvement qui se compose de plus de salariés et de compagnons que de bénévoles. C’est un mouvement associatif qui est un peu un peu atypique pour ça parce qu’il y a beaucoup de bénévoles. Il y en a 8 000 environ peut-être ou 10 000 sur les 35 000. Et vous voyez, le reste, ce sont des salariés en insertion, donc des parcours déterminés dans le temps qui sont là de passage, on va dire, et on se doit d’être pour eux en plein ou dans une zone de repos. Bref, peu importe l’expression, mais en tout cas, les aider pour la protection et la suite de leur parcours. Il y a des salariés permanents comme moi, il y en a beaucoup. Et puis, il y a les compagnes, les compagnons et ils sont partie prenante du projet. Ce sont des personnes qui sont accueillies dans les communautés, qui vivent dans les communautés, mais qui travaillent aussi. Ce sont des travailleurs solidaires qui sont indemnisés pour leur travail et toutes leurs dépenses de vie quotidienne sont en charge. Pour ça, c’est un mouvement assez détonnant par rapport à ça. Il ne se veut pas spécialement caritatif. La valeur travail est essentielle. On ne fait pas de la charité chez Emmaüs. On ne donne pas, en fait, on permet à ce que personne retrouve une place et par cette place, une dignité. Et cette personne va elle-même aider d’autres personnes. Donc, c’est une espèce de boucle vertueuse. Et ensuite, ce sont 300 structures juridiques très différentes les unes des autres. Il y en a, c’est en effet, il y a des communautés, il y a des structures comme Label Emmaüs dont on va parler qui ont un projet différent. Il y a des centres d’hébergement d’urgence. Il y a Le Relais, par exemple, les bennes, les conteneurs à vêtements. Donc, c’est très varié. Mais toutes les activités ont des supports à l’insertion et à l’accompagnement de personnes éloignées de l’emploi vers plus de places dans notre société.

Katia : Et vous, vous avez créé cette plateforme, Label Emmaüs, dont on disait, qu’elle n’est pas assez connue, insuffisamment connue et pourtant, deux millions de produits en vente sur ces plateformes. C’est assez incroyable. Comment vous avez eu l’idée de créer cette plateforme ?

Maud : 500 000. Précisément.

Katia : Alors, d’où est venue cette idée ?

Maud : Bon, déjà, il fallait forcément, à un moment donné, aller en ligne quand même parce que, je pense même qu’on s’est lancé un peu tardivement et pourtant, aujourd’hui, dans l’économie sociale et solidaire, on est parmi les seuls à faire cette activité. Donc, malheureusement, on continue à accuser trop de retard, je trouve, dans l’ESS sur ces questions digitales. Mais, il faut se rendre compte qu’Emmaüs, aujourd’hui, c’est plus de 500 points de vente partout en France. Aucune grande enseigne avec un tel maillage territorial n’a de site de vente en ligne. Il y a 10 ans, quand on a commencé à réfléchir au projet, c’était déjà un peu l’arlésienne. On en parlait beaucoup. On se disait qu’il fallait forcément qu’on se lance en ligne. À ce moment-là, Amazon avait quand même déjà 20 ans parce qu’Amazon, c’est 1994. Et Le boncoin, aussi, avait pas loin de 10 ans. On en parlait mais on s’est dit qu’on ne savait pas forcément par quel bout prendre le sujet. Moi, ça faisait déjà 5 ans que j’étais chez Emmaüs France et j’avais une bonne connaissance du terrain parce que j’étais référente au niveau national des structures d’insertion. J’avais l’habitude de suivre, accompagner les structures sur plein de sujets différents et notamment économiques. Et cette connaissance du terrain alliait à mon expérience précédente chez Accenture qui est un cabinet en gestion de projets informatiques. Mon père, m’a permis d’être un peu légitime sur ce sujet-là pour proposer au conseil d’administration d’Emmaüs France à l’époque de me confier une mission exploratoire sur ce sujet comme on ne savait vraiment pas par quel bout prendre. Il n’y avait pas de service informatique à ce moment-là. Il n’y avait aucun département informatique chez Emmaüs France.

Katia : Ça paraît dantesque comme projet.

Maud : C’est pour ça que ça a découragé de fait tout le monde parce que notre indépendance, nos valeurs nous empêchaient d’imaginer nous associer aux acteurs. On n’allait pas nous associer à un Cdiscount, un Amazon pour vendre en ligne. Donc forcément, il fallait faire quelque chose en tenant propre et donc tout faire alors qu’on ne connaissait rien au sujet. Donc, j’ai lancé cette mission et on y allait pas à pas en fait. J’ai réuni autour de moi des personnes du terrain, des compétences, des compagnons, des bénévoles et on a essayé ensemble de phosphorer en regardant ce qui se faisait autour, en allant visiter les futurs concurrents et en même temps en essayant de trouver un concept qui pouvait s’ancrer sur notre réalité à nous, de personnes, de moyens, de valeurs et peu à peu s’est dessiné ce concept de Marketplace Solidaire et parce que ce projet, je l’ai réfléchi et je l’ai construit de manière coopérative. Et après, on allait créer concrètement une coopérative pour porter. Je pense que ça a été une des clés du succès. C’est un peu trop dire parce que vous savez, on n’est encore pas loin d’être à l’équilibre et on a encore beaucoup de chemin mais voilà, depuis 8 ans, on existe et on est toujours vivant, ce qui est déjà dans cet univers sans foi ni loi, une sorte de succès. Je pense que dès le début, il y a eu des ambassadeurs, des gens qui ont mis de l’énergie avec moi et qui ont porté le sujet.

Katia : En termes de gestion et logistique, je n’imagine même pas mettre 2,5 millions d’objets en ligne, comment ça se passe ?

Maud : En fait, tout s’est fait étape par étape. Dans tout projet de conduite du changement, il faut vraiment y aller petit à petit parce que sinon, on ne se lance jamais et effectivement, il faut se rendre compte que quand on s’est lancé, il y avait à peine 3 000 produits sur le site. Donc, si on s’était arrêté au fait de se dire un mouvement comme Emmaüs ne peut pas se permettre de se lancer en ligne sans avoir dès le début des millions de références, en fait, on ne se serait jamais lancé parce que les gens n’étaient pas prêts, ils n’étaient pas outillés pour un projet d’une telle ampleur. Pour tout vous dire, au début, c’est 3 000 pauvres petits objets qui se battaient en duel quand on s’est lancé et quand on a ouvert le site alors qu’en une heure, il y a 50 000 personnes qui se sont connectées parce qu’évidemment, c’était attendu par beaucoup de personnes, ça s’est dit dans la presse, le site a craché très vite. Au bout d’une heure, on n’a pas résisté à l’affluence. Il n’y avait pas assez de choses à vendre, concrètement. Et sur ces 3 000 produits, il y avait à peine 1 000 produits qui étaient expédiables parce que les rares Emmaüs que j’avais trouvés pour se lancer dans cette aventure avec moi, voulaient bien à la limite prendre des photos et mettre en ligne des produits, mais ils ne voulaient pas faire des colis et ils se refusaient aussi à faire du e-commerce. Pour eux, les gens, ils devaient se déplacer et ce n’était qu’une vitrine. Donc, si on avait attendu que tout le monde soit prêt à faire du e-commerce, etc., on ne se serait jamais lancé. Donc, on s’est lancé avec nos 3 000 produits, avec les quelques structures pilotes. Petit à petit, on a réussi à les convaincre de faire du e-commerce, sans faire des colis expédiés, ce n’était pas faire du e-commerce. Petit à petit, ils se sont pris au jeu. Ça a été tellement enthousiasmant pour les compagnons, les premiers clients, de réussir à vendre des objets qui ne trouvaient pas preneur localement, des objets de collection qui sortent un peu de l’ordinaire. Et donc, tout le monde s’est vraiment pris au jeu. Petit à petit, on a augmenté le catalogue, on a recruté. Et encore aujourd’hui, le site évolue tous les jours, les vendeurs apprennent tous les jours. Aujourd’hui, il y a 180 structures qui vendent sur le site, alors qu’au début, il y avait une petite vingtaine. Et donc, chaque année, on essaie de convaincre les associations de l’économie sociale et solidaire, enfin, qu’il y a même eu ça aussi, des retenues, la Croix-Rouge.

Katia : C’est ce que j’ai entendu dans une de vos interviews.  Vous expliquez qu’effectivement, ce ne sont pas que les structures Emmaüs.

Maud : Et oui, parce que ça aussi, c’est un élément de la conduite du changement. Dès le début, on avait en tête un projet comme ça et si on ne se mutualise pas entre tous les acteurs de l’ESS, on n’a aucune chance. Même Emmaüs, aussi gros soit-il, ne peut pas, seul, être assez fort pour résister à un Vinted, à un Amazon, etc. Et par ailleurs, le message est beau aussi et je pense que le consommateur, le citoyen, il attend ça. Il ne cherche pas à acheter Emmaüs ou acheter une recette de riz ou acheter. Il veut acheter un produit qui a été donné localement à une structure de la solidarité et savoir qu’à travers ce produit, de seconde main, qu’il y a toute une histoire, il y a une personne qui, en insertion, un compagnon qui se sera formé à des nouveaux métiers et que tout l’argent va être se réinvestir dans un projet local, solidaire, sur les territoires, voilà. Et donc, finalement, peu importe. Mais tout ça sous une bannière qui s’appelle Emmaüs et qui, aujourd’hui, de façon pragmatique, dans le monde de l’ESS, est la seule bannière avec autant de notoriété sur l’aspect seconde main. Quand on va dire à un Français « je vous demande un acteur solidaire de la seconde main », je pense que, de façon, directe, tout le monde va évoquer Emmaüs en premier. Donc, c’était ça, l’idée. Sauf que, évidemment, au début, ce n’était pas possible de le faire tout de suite parce qu’aujourd’hui, dans l’ESS, je pense qu’il y a plus de mutualisation, d’action en commun, de lobbying commun, etc. Mais, il y a dix ans, ce n’était pas forcément le cas. Et sur le territoire, les structures se sentent souvent en concurrence et donc, il y a un travail énorme pour persuader Emmaüs d’accepter les autres et les autres d’accepter de vendre ce que donne Emmaüs. Oui, ça demande de changer de paradigme, de voir sa manière de penser les choses, d’être collaborateur. À la limite, ce qui nous a rendu service, c’est que la concurrence, la vraie, au fur et à mesure des années est devenue tellement énorme. Quand on s’est lancé en 2016, Vinted était en faillite. Aujourd’hui, Vinted a 23 ans, 3 millions d’abonnés. C’est un rouleau compresseur dans la seconde main. Aujourd’hui, il n’y a que réellement qu’eux qui grossissent dans la seconde main. Les autres stagnent tout au mieux. Et donc, à la limite, ça a rendu service au collectif parce qu’effectivement, tout le monde s’est bien rendu compte que la concurrence, ce n’était pas entre une ressourcerie et un Emmaüs.

Katia : On parlait du manque de visibilité. Il n’y a pas très longtemps, vous avez interpellé Zaho de Sagazan sur la chaîne pour qu’elle puisse peut-être devenir l’égérie d’Emmaüs. Ça en est où ?

Maud : Alors, je n’ai pas eu encore de coup de fil de Zaho, mais j’ai eu des retours de personnes connaissant son agent et sa boîte de production, elle l’a su. On m’a dit qu’elle était chargée. Il y a beaucoup de festivals, mais a en tête de nous contacter à la rentrée. Et on refera un petit poste à la rentrée, peut-être ? Oui, voilà.

Katia : C’est un poste qui a eu quand même énormément de succès, qui a été relayé, commenté, liké un nombre incalculable deux fois. Oui, c’est mon plus gros succès, c’est très clairement.

Maud : Mais comme quoi, en fait, ça semble aller de soi. Ce n’est pas si simple pour une marque de trouver une égérie. Et ce n’est pas si simple pour une égérie de trouver sa marque. Et ce n’est pas si simple. C’est elle qui a parlé de sa tenue chinée chez Emmaüs sur le red carpet. On a trouvé ça extraordinaire et logique, en fait, que pourquoi elle, notre égérie et que la marque qu’elle porte, ce soit Emmaüs. Donc, j’espère que ça se concrétise. On a besoin de ça parce que c’est vrai qu’il y a encore quelques années, avec un petit budget marketing, un petit budget publicitaire sur les réseaux sociaux, on pouvait émerger. Aujourd’hui, c’est presque de l’argent jeté par les fenêtres. On est obligés d’en maintenir un petit pour ne pas complètement disparaître, mais on est invisibilisés par des géants. Si on prend, ne serait-ce que le budget publicitaire d’un Tému, le géant chinois, du même acabit que Shein a dépensé l’année dernière 2 milliards de dollars uniquement sur Meta, en fait, sur les réseaux sociaux de Meta, Facebook, Instagram et WhatsApp. Donc, sur ces 3, 2 milliards de dollars, c’est compliqué de lutter.

Katia : Et quelques influenceurs aussi, on en voit sur les réseaux faire la promotion.

Maud : Moi, j’ai vu particulièrement Shein. En fait, c’est principalement là qu’il dépense le budget. Aujourd’hui, ce sont les influenceurs, et tant que de toute façon, il n’y aura pas des réglementations qui vont encadrer ça un minimum, il faut utiliser d’autres leviers, il faut être malin, il faut réussir à trouver des communautés autrement, soit par des influenceurs effectivement, des personnalités, soit pourquoi pas, des collectivités. Elles ont beaucoup de citoyens qu’elles peuvent toucher par plein de canaux, et je pense qu’elles doivent prendre plus position à l’avenir pour des solutions éthiques de consommation aussi. Plus de stratégies locales, finalement.

Katia : Peut-être qu’il y a des partenariats à créer sur des structures existantes de l’ESS. Ce qui m’a marquée de vous sur les réseaux, c’est votre capacité à interpeller. Gabriel Attal, Bruno Le Maire, Emmanuel Macron, vous avez cette capacité à interpeller. Vous n’avez pas votre langue dans votre poche, et je ne sais pas quelles réactions vous avez en retour, mais en tout cas, vous vous saisissez de ces réseaux pour dire la réalité du terrain et de la situation.

Maud : Oui, alors ça, c’est la chance d’être dans le mouvement Emmaüs. On a une indépendance qui est très forte et d’ailleurs, c’est une indépendance pour laquelle Emmaüs s’est toujours battue et a été assez visionnaire. Avoir nos propres ressources de financement grâce au réemploi, à la revente des produits et donc, de limiter au maximum les subventions publiques et au maximum le mécénat privé nous permet encore aujourd’hui de pousser des coups de gueule ou de dénoncer ce qu’on estime comme injuste, non éthique grâce à cette indépendance. On n’est pas tous aussi indépendants dans l’ESS. Moi, je mesure ma chance d’être sur un modèle qui se finance en grande partie. Et puis, j’ai aussi des financements publics. On a des financements qui peuvent être importants sur notre centre de formation, notre école ou d’autres axes. Mais c’est vrai que ça ne va pas m’empêcher d’interpeller des politiques qui ont un mandat qu’on leur a confié. Donc, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas dénoncer des incohérences devant nos yeux. Après, qu’est-ce que ça a comme conséquence concrètement ? Maintenant, la communauté que j’ai sur LinkedIn a dépassé 80 000 personnes. J’ai un peu plus de réactions. Avant, évidemment, aucune. Mais, bon, dernièrement, par exemple, il y a eu un poste où j’ai dénoncé le gaspillage sur la filière, les éléments d’ameublement et l’absence totale de réglementation.

Katia : Oui, et vous êtes aussi une femme d’influence. Vous disiez, vous n’avez plus effectivement de 80 000 abonnés sur les réseaux. Vous étiez dans le classement de Forbes 2023. Vous faites partie du LinkedIn Top Voice. Vous vous saisissez des réseaux pour porter votre voix, vous avez de l’influence dans le secteur par rapport aux projets que vous développez.

Maud : J’ai un peu changé de fusil d’épaule ces dernières années parce que les premières années de Label Emmaüs, j’avais surtout à cœur de développer au maximum la structure et je continue à faire. Mais j’avais peut-être plus de rêve de grandeur, entre guillemets. J’imaginais que mes chiffres pourraient devenir beaucoup plus importants, etc. Donc, j’ai intégré, je pense que ça n’a pas toujours été facile. Le fait qu’on ait tellement peu de moyens par rapport au milieu dans lequel on évolue, que c’est difficile d’imaginer pouvoir un jour vraiment concurrencer des sites importants. En revanche, maintenant, je mets tout autant d’énergie dans le plaidoyer que j’en mets dans le fait de pérenniser, rentabiliser, continuer à développer la structure. Pour moi, cette initiative qui est Label Emmaüs sera 100% cohérente dans son plaidoyer le jour où elle sera rentable. Donc, il faut encore qu’on y arrive. On a deux ans devant nous et le pari que je tiens, c’est que dans deux ans, on y sera. Et quand je dis rentable, c’est-à-dire qu’on sera très autonome par rapport à des financements extérieurs et qu’on n’aura pas non plus besoin forcément de courir après des levées de fonds pour se financer. Si on continue à faire des levées de fonds, ça sera vraiment pour se développer parce que c’est important de montrer qu’une autre économie est possible mais encore même qu’elle est pérenne, qu’elle peut s’autofinancer. Et je mets beaucoup d’énergie dans ce plaidoyer parce que je pense que ce n’est pas parce qu’on a une petite structure qu’on ne peut pas avoir un gros plaidoyer et de l’influence. Donc, j’essaie aujourd’hui d’avoir de l’impact concrètement sur les vies parce qu’on est une structure avec une vingtaine de postes en insertion avec 100 personnes dans notre école qui se pendent chaque année, avec des centaines de personnes dans les associations qui vendent en ligne à nos côtés. Donc, ça compte pour des gens et ça, il faut qu’on continue à le développer. En revanche, moi, je veux faire bouger les lignes, les consciences d’un secteur économique, plus largement, que la réglementation bouge, acculer un peu les politiques pour qu’ils prennent leur responsabilité. Et oui, effectivement, se servir des armes marketing sans trop se poser de questions. Il faut être peut-être un peu moins angélique dans notre secteur et un tout petit peu plus machiavélique dans le sens originel du terme, un peu plus tactique aussi. Je pense qu’on n’occupe pas assez ce terrain-là du digital, des réseaux sociaux, des médias. On n’hésite pas dans l’ESS à s’emparer de ces moyens-là. Moi, j’ai envie de dire à mon petit niveau. L’idée, c’est d’offrir un autre espace d’expression et de parole pour pouvoir raconter et partager toutes ces expérimentations-là.

Photo de l'interview de Maud Sarda et de Katia Crabé pour le podcast

Katia : Qu’est-ce que vous faites, vous, par exemple, ou à plus petite échelle aussi au niveau de l’ESS ? C’est vrai que la question du financement ou du modèle économique, je me la suis posée pour la coopérative dont je fais partie parce qu’il y a une baisse drastique des subventions et je me demandais comment est-ce que la structure peut être viable à terme et est-ce qu’à un moment donné, il ne faudrait pas aussi gagner en autonomie pour être moins dépendant des subventions qui diminuent d’année en année ? Ce n’est pas forcément l’objectif non plus. Après, c’est peut-être chaque structure aussi qui a son propre mode de fonctionnement, mais peut-être pour regagner un peu plus de souveraineté aussi, d’indépendance.

Maud : Je pense que c’est une question de poids, de pondération. C’est-à-dire que notre structure, si elle est à l’équilibre et qu’elle dégage des bénéfices pour assurer l’investissement dans des métiers comme ceux dans lesquels on est, avec malgré tout 15 à 20 % de subventions, je trouve que ce serait bien comme équilibre parce que pour moi, ce ne sont pas des subventions. Désolée, mais quand des collectivités ou l’État me confient la responsabilité de former des personnes qui sont très éloignées ou de réinsérer des personnes dans le monde du travail et de faire une prestation que je rends, une prestation de service pour la société dans sa globalité. Et quand j’ai 86 % des apprenants qui décrochent leur diplôme après six mois de formation dans notre école, que ces personnes, elles arrivent, elles n’ont pas le bac en majorité et qu’après six mois de formation, je réussis, mes équipes ont réussi à les faire décrocher à 86 % un diplôme qui est décliné et qui balance Bac plus 3. Eh bien, j’estime qu’on rend une prestation de service extrêmement performante en fait et que ça se paye. Voilà, donc, il faudrait presque changer le nom de subvention. C’est très dévalorisant finalement pour notre secteur alors qu’on est des prestataires solidaires, quoi, vraiment.

Katia : Aujourd’hui, qu’est-ce que vous auriez envie de dire à la petite Maud ?

Maud : La petite Maud, elle était très travailleuse. Pour elle, l’école, c’était vraiment son refuge et l’endroit où elle décrochait des bonnes notes et donc de la reconnaissance. Mais pour autant, je pense qu’elle n’avait pas trop confiance en elle. Elle avait toujours l’impression d’être mal habillée ou bien de s’exprimer moins bien que les autres. J’ai envie de lui dire qu’elle a réussi à gagner confiance en elle surtout et puis, aujourd’hui, je ne me mets pas trop de limites. Aujourd’hui, je me dis que j’aimerais peut-être un jour faire plus de politique. Enfin, pas forcément en étant élue, mais en étant aussi dans les coulisses, à réfléchir à des lois et je ne me dis pas que c’est impossible parce qu’il faudra que tu parles devant des gens qui parlent tellement bien, etc. Non, je me dis que c’est possible. Il y a des personnes qui ont l’air de trouver plutôt intéressant ce que je peux raconter. Donc, j’ai gagné vraiment beaucoup confiance en moi et ça, ça a été forcément un peu douloureux au début, toutes les prises de parole. Beaucoup de stress et maintenant, il y a toujours de l’enjeu quand je prends la parole, mais j’en tire beaucoup de plaisir. Et donc, voilà, si ça peut être aussi un message pour toutes les autres petites Maud que l’entrepreneuriat, l’influence, ce n’est pas réservé à des gens qui vont naître avec, par magie, tout ce talent-là, et les autres qui ne l’auront jamais. En fait, moi, je n’étais pas du tout une personne sûre d’elle, vraiment.

Katia : Je ne sais pas ce qui vous a permis de pouvoir prendre confiance en vous. Est-ce que c’est à force de vous confronter à ces prises de parole et au public et puis de voir, effectivement, l’accueil que vous avez dans ces prises de parole qui fait que ça vous a permis de gagner confiance, mais ce n’est pas du tout ce que vous paraissez… Enfin, comment dire ? Ce n’est pas ce qui se ressent, quand on vous lit et quand on vous suit.

Maud : Je pense que c’est d’avoir trouvé un certain alignement. C’est vrai qu’avec Emmaüs, j’ai vraiment trouvé un univers des valeurs où je suis très alignée. Donc, c’est beaucoup d’inspiration de toutes les personnes que je vais croiser dans ce mouvement, de tout ce qui va être fait. Et donc, ça, ça porte, ça nourrit, ça apporte une cohérence aussi. Donc, c’est quand même de prendre la parole sur des sujets dans lesquels on croit. Et voilà. Et puis, je suis combative. Donc, je ne suis pas laissée me démonter aussi au début, peut-être, quand je trouvais que c’était poussif, mes prises de parole, ou je ne sais pas où j’ai eu beaucoup de trac, etc. J’ai eu envie de progresser. Et puis, ici, c’est quand même vraiment beaucoup la reconnaissance. Et c’est bien dosé parce qu’on n’est pas à l’abri de récolter beaucoup de positifs aussi des gens. On a tout le temps peur du jugement des autres, mais j’ai beaucoup de chance, en fait, sur les posts que je vais faire. Certains vont me dire, oh là là, il y en a un, il t’a écrit ceci, cela, comme commentaire. Mais enfin, moi, je vois surtout aussi toutes les marques de soutien.

Katia : Vous n’avez pas de ghostwriter. C’est bien vous qui écrivez vos posts ? Ou pas de community manager. C’est vous.

Maud : Oui, oui, oui. Non, ça, c’est moi. Et d’ailleurs, c’est assez erratique parce que parfois, j’écris trois fois, quatre fois dans la semaine, d’autres, pas du tout. Et voilà, c’est selon le mot ma dispo, l’inspiration, les sujets.

Katia : On arrive à la fin. Je donne la parole aux acteurs du Nouveau Monde. C’est quoi pour vous le Nouveau Monde ?

Maud : Il existe déjà le Nouveau Monde. Pour moi, il est la communauté Emmaüs. C’est le Nouveau Monde. C’est ce que j’ai ressenti la première fois que j’y suis allée. C’est un endroit où, sur une moyenne de 100 personnes, on va trouver 25 origines différentes. Des personnes qui viennent de partout dans le monde ou qui ont des parcours de vie extrêmement différents. Parfois, très cabossées par la vie et pour autant, ils arrivent à vivre ensemble, à partager un quotidien et ensemble à créer de la valeur à partir d’objets dont on ne veut plus. Le message, il est absolument magnifique, vraiment porteur d’espoir. Et donc, ce Nouveau Monde, il doit adopter des codes de sobriété beaucoup plus importants. Se détacher du culte de la vie. De la consommation effrénée, d’une consommation qui se pose zéro question, d’une consommation qui horrifie quelques-uns. Pourquoi ? Mais ce n’est pas qu’être consommateur, c’est aussi en tant que salarié. J’espère que les personnes qui vont passer par des écoles de commerce, des écoles d’ingénieurs, par les meilleurs cursus académiques demain vont arrêter de mettre leur talent au service de quelques actionnaires et de quelques et de produits ou de services qui n’ont aucun sens, en fait, qui ne font rien d’avancer en termes d’humanité, de progrès social, écologique et qui vont un peu ouvrir les yeux aussi sur la richesse de la diversité, de l’inclusion, des gens tellement de talents partout dans notre société. On passe tellement à côté dans les entreprises classiques de la richesse de ce que ça peut être que de former une équipe avec des gens qui viennent de partout et de tout type de parcours. En fait, je le souhaite pour notre humanité mais je le souhaite pour les gens aussi individuellement. Moi, je suis passée par ces univers ultra-élitistes. Qu’est-ce que j’y étais triste, en fait, par rapport à aujourd’hui et ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas du challenge économique, du challenge professionnel. Il ne faut pas se dire que c’est l’associatif plan-plan alors que je vais faire un truc pour la société mais je vais m’ennuyer, ça va être complètement désorganisé, etc. Et puis, il y a le monde professionnel, ça n’a pas de sens mais bon, là, je vais faire une première, ça va être intéressant. On peut complètement aujourd’hui hybrider ces mondes-là et se trouver personnellement et professionnellement. Et prendre conscience que d’autres parcours professionnels sont possibles.

Katia : Vous connaissez le portrait chinois ?

Maud : Oui, un peu.

Katia : On va terminer avec notre portrait chinois, si vous étiez un plat, lequel seriez-vous ?

Maud : Allez, le colombo, qui est le plat typique de la Guadeloupe.

Katia : Si vous étiez un livre ?

Maud : Un livre ? Eh bien, les livres qui m’ont le plus plu, ce sont ceux de Maupassant.

Katia : Est-ce qu’il y en a un particulier ?

Maud : Le Horla.

Katia : Si vous étiez un dicton ?

Maud : Un dicton ? « Il ne faut pas attendre d’être parfait pour faire quelque chose de bien ».

Katia : Si vous étiez un film ?

Maud : Pretty Woman. Ça, ça n’a aucun sens mais je pense que c’est le film que j’ai le plus vu.

Katia : Et si vous étiez un super-héros, une super-héroïne ?

Maud : Ouh là là ! Alors, c’est un film Je ne sais pas, là. Je ne suis pas très un super-héros, moi, mais… Non, là, je sais, je l’ai. Vous ? C’est gentil.

Katia : Merci, Maud, de votre participation.

Maud : Merci, Katia.

Katia : Merci beaucoup pour votre écoute. J’espère que le parcours de Maud Sarda vous aura inspiré. N’hésitez pas à la contacter directement sur ses réseaux. Comment est-ce qu’on peut communiquer avec vous ? LinkedIn ?

Maud : Oui, on peut m’écrire sur LinkedIn. Je ne suis pas sur les autres réseaux. Je concentre toute mon énergie sur LinkedIn.

Katia : D’accord. On mettra les liens dans la description de cet épisode. À bientôt.

Maud : À bientôt, Katia.

Katia : Au revoir.

Retranscription effectuée à l’aide d’AutoScript.

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